Stéréotypes sexuels au primaire

Déjà, au primaire, les enfants ont une compréhension assez poussée de ce que devrait être un garçon ou une fille. Vers l’âge de 5-7 ans, en effet, l’enfant comprend que le sexe d’une personne est constant en toutes circonstances, stable dans le temps et définie par la biologie (Boyd et Bee, 2015). D’autres études suggèrent toutefois que la construction de l’identité sexuelle est dynamique et peut se remanier au cours du développement ultérieur de l’enfant (Mieeya et Rouyer, 2013). Quoi qu’il en soit, dès leur arrivée à l’école primaire, les enfants ont très souvent développé des caractéristiques traditionnellement associées à leur sexe par le biais de la socialisation différenciée qu’ils et elles ont vécue tout au long de la petite enfance (SCF, 2018).

Développement de l’identité de genre

Le développement de l’identité de genre se fait tout au long de la petite enfance et elle se cristallise habituellement vers l’âge de sept ans, bien que chez certaines personnes, elle puisse varier et continuer à se remanier tout au long de la vie (Mieeya et Rouyer, 2013). Selon la Coalition des familles LGBT (2018, p. 2), l’identité de genre est « l’expérience individuelle du genre d’une personne qui peut correspondre ou non à son sexe biologique ou assigné à la naissance. Une personne peut ainsi s’identifier comme homme, comme femme ou encore se situer quelque part entre ces deux pôles, et ce, indépendamment de son sexe biologique. Toutes les personnes — toutes orientations sexuelles confondues — ont une identité de genre ». Il est donc possible que des enfants d’âge primaire soient en questionnement par rapport à leur identité de genre. Celle-ci n’est cependant pas directement liée aux intérêts des enfants (jeux, vêtements, modèles); « il est donc important de ne pas penser, par exemple, que le garçon qui s’intéresse à une activité dite féminine se perçoit comme une fille, ou l’inverse. Au contraire, les comportements attribués socialement au sexe opposé sont communs chez les enfants et n’ont rien à voir avec le genre auquel l’enfant s’identifie intérieurement » (SCF, 2018). La bande dessinée Assignée garçon, diffusée sur le Web par Sophie Labelle, nous plonge dans l’univers d’une jeune fille trans de onze ans en plein processus d’affirmation identitaire. L’autrice illustre de façon pédagogique et amusante plusieurs concepts liés à l’identité de genre chez les jeunes enfants.

Stéréotypes sexuels chez les enfants du primaire

Selon une étude menée au Québec par le Conseil du statut de la femme (2016), la majorité des enseignant·e·s du primaire interrogé·e·s était entièrement ou plutôt d’accord avec les affirmations suivantes :

  1. Les filles réussissent mieux en français que les garçons;
  2. Les cerveaux des garçons et des filles ne fonctionnent pas tout à fait de la même manière;
  3. Les différences observées entre les sexes ne sont pas le résultat des inégalités entre les hommes et les femmes;
  4. L’école québécoise n’est pas adaptée aux besoins et à la spécificité des garçons;
  5. Les garçons ont besoin de méthodes éducatives plus dynamiques et actives;
  6. Les garçons ont davantage besoin de bouger que les filles.

Or, ces affirmations ne sont ni fondées sur des caractéristiques biologiques ni fondées scientifiquement. À la naissance, les cerveaux des garçons et des filles ne diffèrent qu’en ce qui a trait aux fonctions de reproduction. Les enfants de 0 à 3 ans ont donc les mêmes aptitudes cognitives (intelligence, capacités de raisonnement, de mémoire, d’attention, de repérage dans l’espace) et physiques (Vidal, citée dans Piraud-Rouet, 2017). Les différences qui se développent entre filles et garçons sont imputables à la plasticité du cerveau, c’est-à-dire à sa capacité à se transformer selon ses apprentissages et son environnement (Piraud-Rouet, 2017). En ce qui concerne les différences psychologiques ou comportementales entre les sexes, si elles ont tendance à s’accentuer de l’enfance à l’âge adulte, elles sont presque absentes chez les bébés et les jeunes enfants (Cossette, 2017).

Étant donné que le développement de l’identité s’effectue au courant de la petite enfance (lire à ce propos la page traitant des stéréotypes sexuels chez les tout-petits) et que cette identité se cristallise entre l’âge de cinq et sept ans (Boyd et Bee, 2015), lorsque les enfants commencent l’école primaire, la plupart d’entre eux et elles ont déjà adopté les comportements attendus de leur sexe. Ainsi, dans une étude menée dans plusieurs écoles primaires de la région de Québec, « l’ensemble des garçons a intériorisé un modèle d’évaluation de la masculinité déterminé à partir des stéréotypes traditionnels. Selon ces stéréotypes, un garçon doit être sportif, indiscipliné, indifférent aux résultats scolaires et capable de se défendre. Les garçons qui refusent de se conformer à ce modèle sont exclus du groupe » (Gagnon, 1999, p. 29). Toujours selon cette étude, les « comportements perçus comme masculins haussent l’estime de soi de la majorité des garçons et les rendent populaires auprès des pairs, mais ils les distancient de la réussite scolaire et les enferment dans un moule limitatif » (p. 161).

Quant aux filles, plusieurs études démontrent que celles âgées de 7 ans seulement souhaiteraient être plus minces : à cet âge, elles peuvent déjà identifier une partie de leur anatomie qu’elles veulent améliorer (SCF, 2018). Dès le début du primaire, elles ont également moins confiance en elles et elles sous-estiment leurs compétences (BBC, 2018). On voit ainsi apparaître le phénomène de la menace du stéréotype. « Prenons l’exemple d’une classe d’élèves de 11-13 ans qui s’apprêtent à faire un test mesurant les capacités de représentation spatiale. Si le test est présenté comme un exercice de géométrie, les scores des garçons sont en moyenne meilleurs que ceux des filles. Mais si le professeur annonce qu’il s’agit d’un test de dessin, alors les filles battent les garçons ! (Massa et coll., 2005). Cette expérience et bien d’autres montrent à quel point les filles vivent avec appréhension les exercices de géométrie. Elles intériorisent de façon consciente le préjugé selon lequel elles ne sont pas douées pour les maths » (Vidal, 2017, p. 19). Les filles d’âge primaire semblent toutefois résister davantage aux stéréotypes sexuels féminins, particulièrement celles qui ont de meilleurs résultats (Gagnon, 1999), ce qui est cohérent avec les études qui démontrent une corrélation entre l’adhésion aux stéréotypes sexuels et le décrochage scolaire (Réseau Réussite Montréal, 2018).

Les garçons et les filles nous semblent ainsi adopter des comportements et démontrer des forces qui seraient naturellement différentes selon le sexe. Or, ces différences relèvent plutôt d’une socialisation différenciée.

La socialisation différenciée

Si la famille, le milieu de garde, les jouets et les livres pour enfants sont les premiers acteurs de socialisation différenciée des filles et des garçons durant la petite enfance, celle-ci se poursuit à l’école primaire : « les enseignant·e·s jouent donc un rôle dans ce processus  de socialisation sexuée des élèves en prolongeant les expériences vécues dans la famille » (Epiney, 2013, p. 17).

La « socialisation différenciée » consiste à inculquer aux enfants les comportements attendus de leur sexe selon la société dans laquelle ils et elles grandissent. Une grande partie de cette socialisation différenciée se fait à notre insu.

Il est donc primordial pour eux et elles de prêter attention aux façons, souvent inconscientes, dont elles et ils agissent différemment avec les enfants en fonction de leur sexe. Une attention doit aussi être portée aux paroles et aux gestes des élèves : en effet, les pairs contribuent également à cette socialisation différenciée par le biais des réactions qu’ils et elles ont face à un·e enfant qui adopte ou transgresse les comportements traditionnellement associés à son sexe. Par exemple, les garçons qui démontrent des intérêts associés au féminin (maquillage, lecture, danse, arts, etc.) sont souvent victimes d’exclusion de la part de leurs camarades de classe, particulièrement des garçons. À l’opposé, les garçons turbulents, talentueux dans les sports ou qui défient l’autorité en tireront de l’admiration de la part de leurs amis.

Dans le cadre de cette socialisation différenciée qui s’effectue au primaire, « les relations entre pairs s’établissent presque exclusivement entre enfants du même sexe, un phénomène qu’on trouve dans toutes les cultures du monde (Cairns et Cairns, 1994; Karkness et Super, 1985). Les garçons jouent avec les garçons et les filles, avec les filles, chaque groupe dans des endroits et à des jeux différents » (Boyd et Bee, 2015, p. 257). On observe bien sûr des transgressions entre les groupes de garçons et de filles dans le cadre de certains jeux, mais la ségrégation persiste généralement tout au long du primaire et se poursuit même à l’âge adulte, bien qu’elle soit de moins en moins rigide avec le temps (Boyd et Bee, 2015). Cette division filles-garçons contribue à renforcer les stéréotypes sexuels et accentue la socialisation différenciée.

Mixité scolaire

Dans ce cas, la mixité scolaire est-elle à privilégier ? Des classes unisexes permettraient-elles une socialisation indifférente au sexe ? Cela favoriserait-il la réussite scolaire des filles et des garçons ? Si plusieurs milieux conservateurs militent pour la non-mixité des environnements scolaires, des « études internationales menées dans différents pays (États-Unis, Canada, Royaume-Uni, Australie, Nouvelle-Zélande) ont clairement démontré que les résultats scolaires dans les classes non mixtes ne sont pas meilleurs que dans les classes mixtes (Halpern et coll., 2011). Ces études montrent aussi que la ségrégation à l’école crée un environnement unisexe artificiel qui encourage les préjugés sexistes. À l’inverse, la mixité, qui incite à travailler ensemble et à coopérer, réduit les attitudes stéréotypées. L’école mixte prépare les enfants à prendre leur place dans la société où femmes et hommes interagissent dans la vie publique et privée » (Vidal, 2017, p. 25). Il est donc important, pour lutter contre les stéréotypes sexuels et favoriser la persévérance scolaire, de maintenir la mixité scolaire et de favoriser les activités qui vont à l’encontre de la ségrégation des sexes qui s’opère à l’école par le biais de la socialisation genrée.

Éducation à la sexualité et hypersexualisation précoce

L’éducation à la sexualité a fait couler beaucoup d’encre au Québec (et ailleurs !) au cours des dernières années. Le programme québécois comporte tout un volet s’intéressant à la déconstruction des stéréotypes sexuels ainsi qu’à l’hypersexualisation, qui découle des stéréotypes imposés aux enfants. Les questionnements des enseignant·e·s et des parents par rapport à ce qui doit être enseigné ou non aux enfants en lien avec la sexualité demeurent toutefois nombreux.

D’abord, tel que le précise le ministère, la sexualité « ne se limite évidemment pas à la génitalité et ne doit pas être réduite aux seules pratiques sexuelles; les aspects affectifs et relationnels sont au centre de l’univers de la sexualité » (Ministère de l’Éducation, 2003, p. 9). C’est en ce sens que dès le primaire, « les enfants peuvent expérimenter certains comportements intimes : se tenir la main, se tenir proche de l’autre ou éprouver des sentiments plus forts pour un ou une amie. Ces émotions suscitent chez eux des questionnements, même s’ils n’en parlent pas explicitement.

Le développement affectif et amoureux s’effectue par étapes et évolue avec l’âge. Il est donc important de parler des relations affectives et amoureuses avec les enfants, tout en respectant leur niveau de développement psychosexuel. Ainsi, on ne parlera pas d’éveil amoureux avant l’âge de 8 à 11 ans, et d’éveil progressif à l’attirance sexuelle avant l’âge de 10 ou 11 ans » (SCF, 2018).

Les relations affectives et amoureuses ne sont malheureusement pas exemptes de stéréotypes sexuels. En effet, on s’attend à différents comportements de la part des garçons et des filles en ce qui concerne les relations interpersonnelles. Par exemple, « à propos d’un garçon qui dit avoir une “blonde”, on entend souvent les adultes réagir ainsi : “Tu pognes mon grand !”  Vous avez probablement déjà été témoin aussi de commentaires tels que : “Tu es un vrai charmeur !” à l’endroit d’un jeune garçon qui semble être populaire auprès de plusieurs jeunes filles à la fois ou qui dit avoir plus d’une amoureuse. Qu’en est-il des remarques faites aux jeunes filles dans la même situation ? On entend plus fréquemment des commentaires qui mettent d’abord les filles en garde contre les garçons ou contre leur propre potentiel de séduction (ex. : le mythe selon lequel être attirante équivaut à se mettre à risque d’être agressée sexuellement). […] Ces réactions spontanées relaient des messages aux enfants. Autrement dit, la relation amoureuse est valorisée pour les garçons et synonyme de “danger” pour les filles. En voulant bien faire, il est possible que par leur attitude des adultes renforcent l’image de la femme “vulnérable” et de l’homme “prédateur”. Rien pour favoriser les relations saines et égalitaires ! » (SCF, 2018). De plus, on offre souvent aux enfants des modèles familiaux et de couples hétéronormatifs, c’est-à-dire des familles formées par un père et une mère et des couples formés par un homme ou une femme. En ce sens, « les premières interventions à l’égard des relations affectives et amoureuses auprès des enfants doivent favoriser un discours inclusif et non hétérosexiste. […] Plus tôt les enfants auront accès à des modèles divers, plus tôt ils développeront une ouverture à l’égard de la diversité sexuelle. Une adhésion très forte aux stéréotypes sexuels peut entraîner un malaise avec toutes les personnes qui s’écartent de ces stéréotypes, et mener plus tard à l’homophobie ou à la transphobie » (SCF, 2018).

Enfin, on remarque une hypersexualisation précoce des enfants du primaire et du contenu leur étant destiné. Les jeunes filles de 8 à 13 ans, particulièrement, sont de plus en plus visées comme consommatrices par le marché de la mode, de la musique, des magazines et du cinéma, les préadolescents constituant l’une des cohortes démographiques les plus importantes depuis les baby-boomers (Bouchard et Bouchard, 2017). Les stéréotypes féminins présentés par ces médias sont souvent présentés comme accessibles aux jeunes filles alors qu’en réalité, il n’en est rien. Les modèles à atteindre, tant féminins que masculins, sont fortement exagérés et cantonnent les enfants dans des rôles sexualisés inadaptés à leur niveau psychosexuel.

 

Références

Bouchard, N. and Bouchard, P. (2017). La sexualisation précoce des filles peut accroître leur vulnérabilité, Sisyphe. http://sisyphe.org/spip.php?article917

Boyd, D. and Bee, H. (2015). L’enfance: Les âges de la vie, édition abrégée.

Coalition des familles LGBT (2018). Définitions sur la diversité sexuelle et de genre. https://www.familleslgbt.org/documents/pdf/Definitions.pdf

Epiney, J. (2013). (In)égalités filles-garçons à l’école primaire : Regards et représentations des enseignant-es du second cycle en Valais. https://www.resonances-vs.ch/images/stories/resonances/2012-2013/mai/md_maspe_johan_epiney_2013.pdf

Gagnon, C. (1999). Pour réussir dès le primaire : filles et garçons face à l’école, Les Éditions du remue-ménage, Montréal, 173 pages.

Mieeya, Y. and Rouyer, V. (2013). « Genre et socialisation de l’enfant: Pour une approche plurifactorielle de la construction de l’identité sexuée », Laboratoire de psychologie du développement et processus de socialisation, Université Toulouse II. https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01080693/file/2013%20-%20YM%20-%20Psycho%20Fran%C3%A7aise.pdf

Ministère de l’Éducation (2003). L’éducation à la sexualité dans le contexte de la réforme de l’éducation, Gouvernement du Québec. http://publications.msss.gouv.qc.ca/msss/fichiers/2003/03-education-sexualite.pdf

Secrétariat à la condition féminine (2018). « La vie affective et amoureuse », Portail SansStéréotypes,  article consulté le 30 décembre 2018. http://www.scf.gouv.qc.ca/sansstereotypes/personnel-scolaire/vie-affective-et-amoureuse/

Secrétariat à la condition féminine (2018). « Identité de fille? Identité de garçon? », Portail SansStéréotypes, article consulté le 30 décembre 2018. http://www.scf.gouv.qc.ca/sansstereotypes/personnel-scolaire/identite/

Vidal, Catherine (2017). « Cerveau, sexe et préjugés », dans Cossette, Louise, Cerveau, hormones et sexe. Des différences en question, les éditions du remue-ménage, pp. 9-28.