Spécificités du rapport à l’école chez les enfants du primaire

Bien que la socialisation différenciée des enfants selon leur sexe débute bien avant leur entrée à l’école primaire, elle ne s’y arrête pas pour autant. Au contraire, elle se poursuit et s’accentue, les enfants vivant une expérience éducative différenciée selon leur sexe (Gagnon, 1999). Cette section présente de quelles façons la socialisation genrée module les caractéristiques du rapport à l’apprentissage des enfants.

D’abord, cela se traduit par des interactions différenciées avec les adultes et les pairs. Les adultes, parents et personnel enseignant, bien qu’ils et elles ont l’impression de ne pas agir de façon différenciée avec les enfants, modifient leurs comportements selon le sexe de l’enfant. Cela mène donc à des apprentissages différents et une expérience également différente pour les enfants. Plus les enfants vieillissent, plus leurs pairs ont une influence sur leurs comportements. Cette BD de Sophie Labelle, à propos d’une jeune fille trans (assignée garçon à la naissance), illustre avec humour quelques-unes de ces différences.

Ces interactions différenciées amènent les enfants à développer un rapport à l’école et à l’apprentissage différent selon leur sexe. Bien comprendre ces différences permet de voir les conséquences de la socialisation différenciée et d’amorcer une réflexion sur les comportements que nous avons avec les enfants. Les constats suivants sont tirés de diverses études sur le sujet et représentent des tendances observées et non des faits absolus sur les garçons et les filles. Les enfants adhèrent de façon plus ou moins marquée aux multiples stéréotypes associés à leur sexe.

En général

Interactions avec les adultes et les pairs
  1. Les filles sont plus ouvertes à fraterniser avec les garçons que l’inverse.
  2. En milieu défavorisé, où les stéréotypes sexuels sont plus marqués, les filles perçoivent plus négativement les garçons à cause des stéréotypes sexistes dont elles sont la cible, amenant une plus grande division sexuelle. Les relations filles-garçons y sont donc plus difficiles.
  3. Les filles sont nettement rejetées des sports par les garçons, particulièrement à la récréation.
  4. La majorité des élèves, filles et garçons, préfèrent la mixité à l’école.
  5. Plusieurs modèles proposés dans les médias associent l’image corporelle et le fait d’être sexy à la popularité auprès des pairs. Ce désir d’être populaire n’est pas nouveau, mais « il semble aujourd’hui davantage associé à une attitude sexuelle ».
  6. Les garçons sont plus encouragés à jouer avec des camions par leurs parents et les filles avec des poupées.
  7. Les jouets que les parents achètent pour les garçons et les filles n’ont pas les mêmes couleurs.
  8. Les parents sont plus brusques avec un garçon et plus doux avec une fille.
  9. Les parents interprètent les réactions des filles et des garçons différemment (par exemple, une fille qui pleure aura de la peine, alors qu’un garçon sera en colère).
Rapport à l’école et à l’apprentissage
  1. Les filles attribuent une valeur intrinsèque aux résultats scolaires alors que les garçons n’y voient qu’une évaluation extrinsèque de leurs capacités.
  2. Les manuels scolaires présentent encore aujourd’hui une vision stéréotypée des hommes et des femmes et invisibilisent certaines inégalités femmes-hommes.
  3. Les garçons sont surtout interrogés lorsque de nouvelles notions sont introduites alors que les filles sont surtout questionnées en fin de séance.
  4. Dans l’évaluation, les filles sont surtout jugées et félicitées par rapport à la forme (belle écriture, présentation soignée, bonne conduite, travail), les garçons le sont davantage par rapport au contenu et à la performance (habileté, intelligence, don, créativité).
  5. Les difficultés des filles sont commentées comme relevant de considérations plus cognitives, et la rétroaction insiste sur un retour aux bases, avec l’expression d’une inquiétude sur la compréhension générale de l’élève, alors que ces mêmes difficultés sont perçues, chez les garçons, comme étant plus ponctuelles, surtout liées à leurs comportements.

Chez les filles

Interactions avec les adultes et les pairs
  1. Les filles s’investissent davantage dans leurs relations interpersonnelles;
  2. Les filles aiment transmettre leurs connaissances aux plus jeunes;
  3. Elles accordent beaucoup d’importance à leurs amies à l’école et discutent souvent avec elles de tout ce qui touche à l’environnement scolaire.
  4. Les filles apprécient les qualités humaines de leur enseignant·e ou, du moins, s’attendent à retrouver chez lui ou chez elle ces qualités. Elles en ont une perception positive.
  5. Les filles reçoivent, de la part de leur enseignant·e, des éloges autant sur le plan du comportement que sur celui du rendement scolaire : elles seraient calmes, dynamiques, disciplinées, bien que parfois bavardes, conformément aux stéréotypes féminins.
  6. En ce qui concerne les devoirs et les leçons, les mères, principales responsables de ce dossier, laissent davantage leurs filles s’organiser elles-mêmes.
  7. La ségrégation et les stéréotypes dont les filles sont la cible les amènent à adopter des comportements de résistance en cherchant la coalition au sein de leur catégorie de sexe.
  8. En ce qui concerne les passe-temps, les parents dirigent leurs filles principalement vers les arts plastiques et les sports individuels, ces activités se modelant aux caractéristiques perçues comme leur étant intrinsèques, telles que le calme et les talents artistiques.
  9. Les filles sont plus sollicitées que les garçons quand vient le temps d’aider les élèves en difficulté ou d’assister l’enseignant·e, ce qui renforce le stéréotype de la fille responsable de la prise en charge et du bien-être des autres.
Rapport à l’école et à l’apprentissage
  1. Les filles ont généralement un rapport positif à l’école : elles aiment l’école, s’y sentent bien et la prennent au sérieux.
  2. Les filles ont une conception de l’apprentissage qui se rapporte à l’actualisation de soi : apprendre leur permet de se projeter dans l’avenir et de se valoriser.
  3. Elles perçoivent le bénéfice tiré des matières enseignées et aiment même les matières dans lesquelles elles éprouvent des difficultés.
  4. Les filles s’évaluent à partir de leurs résultats scolaires; leur estime de soi se mesure, entre autres, en fonction de leurs résultats aux examens.
  5. Les filles attribuent plus à des facteurs intrinsèques leurs mauvais résultats scolaires.
  6. Chez les filles, le seuil de satisfaction par rapport aux bons résultats est très élevé.
  7. Les filles vivent beaucoup de stress lors des périodes d’examens.
  8. Les filles veulent se surpasser dans le but d’être reconnues dans la seule sphère d’activités où elles se sentent valorisées.
  9. Les filles croient davantage que les résultats scolaires sont garants d’un meilleur avenir.
  10. Les filles préfèrent travailler en équipes avec d’autres filles, arguant que les garçons ne travaillent pas assez fort.
  11. Les filles sont très préoccupées par leur réussite et c’est pour cela qu’elles maximisent le temps passé en classe. Elles sont plus calmes, moins impulsives que les garçons et respectent davantage les règlements et les consignes.
  12. L’estime de soi des filles ayant des résultats faibles en souffre : elles sont persuadées qu’elles ne pourront jamais obtenir la reconnaissance des autres par leurs résultats.
  13. Les filles ont des aspirations professionnelles plus élevées que les garçons : leurs choix de carrière exigent une scolarité plus longue, le plus souvent universitaire.

Chez les garçons

Interactions avec les adultes et les pairs
  1. Les garçons qui performent bien et qui ont un rapport positif à l’école sont plus susceptibles d’être victimes d’exclusion sociale et d’intimidation, et ce parce qu’ils ne correspondent pas à la culture de groupe des garçons.
  2. Dans le même sens, les garçons qui n’aiment pas les sports ou qui ne s’y distinguent pas sont rejetés par le reste des garçons parce qu’ils ne correspondent pas aux critères masculins de performance physique. En outre, ces garçons sont conséquemment victimes d’insultes homophobes.
  3. Le rejet existe davantage chez les garçons et s’effectue souvent sur la base des stéréotypes sexuels masculins ou des transgressions, c’est-à-dire de comportements jugés féminins.
  4. Les garçons n’apprécient pas l’autorité de l’enseignant·e, ou lorsque celui-ci ou celle-ci est jugé·e « trop sévère ». Ils les considèrent comme des personnages autoritaires réfractaires au plaisir et à l’amusement et non comme des pédagogues.
  5. Les stéréotypes sont très présents dans les sports, où les garçons s’évaluent sur la base de leurs performances sportives ou de leur force physique.
  6. Les garçons aiment faire les clowns en classe. Se faire avertir, hériter d’une copie ou se faire expulser ne les réjouit pas vraiment, mais ils gagnent ainsi la reconnaissance de leurs pairs. Plus les garçons perturbent la classe, plus ils font rire les autres, plus leur popularité augmente auprès des garçons.
  7. À la récréation, les garçons seraient auteurs de davantage de violence physique et verbale.
  8. En ce qui concerne les devoirs et les leçons, les mères, principales responsables de ce dossier, encadrent davantage leurs fils que leurs filles.
  9. Les garçons se montrent moins disponibles pour les tâches proposées par l’enseignant·e et sont plus sélectifs : les tâches doivent correspondre à des activités dites masculines reliées aux loisirs (comme sortir le ballon à la récréation) ou mettre en valeur la force physique (porter une pile de volumes).
  10. Les garçons sont, en ce sens, davantage mis à contribution pour des tâches physiques, ce qui renforce la croyance selon laquelle la force est une qualité masculine.
  11. Les garçons sont rapidement initiés par leurs parents à des passe-temps leur permettant d’exprimer leur dynamisme et leur inventivité, tels que les sports collectifs, les arts martiaux et les activités technologiques.
  12. Les adultes en milieu scolaire accordent plus de temps aux garçons, qui reçoivent dans l’ensemble plus d’encouragements, de critiques, d’écoute et de louanges que les filles.
  13. En plus d’être interrogés plus souvent, les garçons reçoivent des consignes plus complexes et obtiennent davantage de réponses à leurs interventions spontanées.
  14. Les enseignant·e·s accordent une attention plus vive à la turbulence des garçons, réputés plus agités. Ils remarquent alors davantage ce type de comportements, renforçant leur conviction initiale.
  15. Selon une étude quantitative menée en France, 80 % des élèves sanctionnés sont des garçons. Ils sont davantage punis pour des motifs d’atteinte aux biens des autres et aux personnes ainsi que pour des motifs d’indiscipline et d’insolence, qui sont des comportements typiquement masculins.
Rapport à l’école et à l’apprentissage
  1. Les garçons ont généralement un rapport négatif à l’école, ils aiment peu ou pas l’école et préfèrent les sports et loisirs. L’école évoque pour eux l’ennui, les contraintes, les obligations.
  2. Les garçons ont une conception instrumentale de l’apprentissage : ils y voient un outil leur permettant de se débrouiller dans la vie.
  3. Les garçons se satisfont de résultats beaucoup moins élevés que les filles et en sont plus satisfaits que fiers.
  4. Pour les garçons qui disent aimer l’école, celle-ci est avant tout un lieu d’activités. La sociabilité masculine, les sports et le temps de récréation favorisent, à court terme, l’amour de l’école chez les garçons.
  5. Le travail scolaire est vu comme une tâche lourde.
  6. Les garçons se sentent moins bien que les filles à l’école et sont plus perméables que celles-ci aux perturbations, par exemple à un changement d’enseignant·e.
  7. Les garçons s’investissent moins à l’école et comparent moins leurs notes que les filles.
  8. Les garçons sont plus nombreux à ne pas savoir ce qu’ils veulent faire plus tard. Davantage de garçons pensent exercer la même profession que leur père (versus les filles par rapport à leur mère) et aimeraient occuper un emploi se rapportant à leurs champs d’intérêt ou à leurs loisirs préférés.
  9. Les garçons se préoccupent moins de la réussite à l’école, car ils ont davantage de lieux de valorisation sociale que les filles (sports et loisirs, activités reliées au jeu, etc.).
  10. Les garçons surestiment leurs capacités à résoudre les problèmes qui leur sont présentés.
  11. La plus grande attention portée aux garçons participerait à la construction de leur confiance en eux et de leur aisance à parler en public.
  12. Les garçons prennent davantage la parole et de manière spontanée pour répondre aux questions des enseignant·e·s et ils interrompent plus souvent que les filles le déroulement de la classe.

Références

Conseil du statut de la femme (2016). Avis: L’égalité des sexes en milieu scolaire. Québec, Gouvernement du Québec, 154 pages, accessible at : https://www.csf.gouv.qc.ca/wp-content/uploads/avis_egalite_entre_sexes_milieu-scolaire.pdf

Epiney, J. (2013). (In)égalité filles-garçons à l’école primaire : Regards et représentations des enseignant-es du second cycle en Valais, Lausanne, 211 pages, accessible at : https://www.resonances-vs.ch/images/stories/resonances/2012-2013/mai/md_maspe_johan_epiney_2013.pdf

Gagnon, C. (1999). Pour réussir dès le primaire : filles et garçons face à l’école, Les Éditions du remue-ménage, Montréal, 173 pages.

Saint-Amant, J. (2003). Comment limiter le décrochage scolaire des garçons et des filles ?, article retrieved on June 15th, 2020, at : http://sisyphe.org/article.php3?id_article=446%5D.

Secrétariat à la condition féminine (2018). « Portail Sans stéréotypes ». http://www.scf.gouv.qc.ca/sansstereotypes/comment-agir/ce-qui-est-propose/