Intégrer les femmes dans son champ disciplinaire

Objectifs de l'outil

Rendre les femmes davantage visibles dans les différents champs disciplinaires ;
Déconstruire les stéréotypes sexuels associant les femmes à la sphère privée uniquement.
Intégrer les femmes dans son champ disciplinaire

Description brève de l'enjeu

Depuis le premier prix remis en 1901, les femmes forment seulement 4% des personnes ayant reçu un prix Nobel, tous domaines confondus (Connelly, 2012). Aux trois paliers de gouvernement (municipal, provincial, fédéral), les femmes élues restent minoritaires. Dans le milieu culturel québécois, elles sont peu nombreuses à occuper des postes clés (Demers, 2016). Au Gala de l’ADISQ 2018, « en excluant Klô Pelgag, gagnante du Félix remis à l’interprète féminine de l’année — seul prix qu’un homme ne peut pas gagner —, il n’y a que la violoniste Angèle Dubeau qui a reçu un Félix artistique » (Bourgault-Côté, 2018). Dans tous les milieux ou presque, on dénote le même constat : les femmes sont sous-représentées à mesure que l’on gravit les échelons décisionnels. Comment intégrer les femmes dans son champ disciplinaire et briser le stéréotype associant les femmes uniquement à la sphère privée ?

Au collégial, les enseignant·e·s bénéficient d’une certaine marge de manoeuvre en ce qui a trait aux contenus, aux oeuvres, aux livres, etc. qui serviront de matériel pédagogique dans leur cours. Or, si on ne prête pas attention à la composante de genre, il est possible, par le biais du matériel proposé aux étudiant·e·s, de renforcer les stéréotypes sexuels et de laisser une place minoritaire aux femmes. Cette fiche se veut une banque de ressources pour bonifier le contenu de certaines matières où les femmes ont tendance à être peu visibles.

Les femmes et l’histoire

La contribution des femmes à l’histoire et au développement des sociétés a souvent été occultée, les succès et avancées étant réservées aux hommes. Pourtant, les femmes, autant que les hommes, ont contribué aux grands événements historiques, ne serait-ce qu’en permettant, par leur travail domestique non rémunéré, aux hommes d’exercer leur travail professionnel. Il est d’autant plus important d’historiciser les concepts, c’est-à-dire de replacer les concepts enseignés dans leur contexte historique en mettant de l’avant autant les contributions féminines que masculines de même que les rapports sociaux de genre entourant ces concepts.

Blanchard et ses collaboratrices (2005) avancent que « l’historienne féministe dérange : par sa seule présence, elle problématise les rapports hommes-femmes sur le lieu de travail comme dans le champ savant, et même dans la sphère privée. Pour atténuer cette difficulté, Bard conseille d’allier l’érudition à l’humour, et surtout, d’historiciser sans cesse les concepts que l’on fait découvrir aux étudiant-e-s et de savoir s’adapter à son auditoire ».

Quelques outils pour intégrer les femmes à votre cours d’histoire et pour aborder celle-ci avec une perspective féministe :

  1. Ligne du temps de l’histoire des femmes au Québec : outil Web à vocation culturelle et éducative qui met en lumière la contribution des femmes et des féministes à l’évolution de la société québécoise de 1600 à nos jours.
  2. L’histoire par les femmes : ce site veut rappeler l’existence de ces nombreuses femmes qui ont fait basculer l’histoire de l’humanité, d’une manière ou d’une autre.
  3. Grandes femmes du Canada : article sur le site Histoire Canada présentant trente femmes ayant marqué l’histoire du Canada, de la colonisation à aujourd’hui.
  4. Les femmes dans l’histoire canadienne : une collection de biographies d’un nombre de femmes remarquables du Canada et de lignes du temps sur, entre autres, le droit de vote des femmes et leur participation politique.
  5. Une histoire féministe est-elle possible ? : pour aller plus loin, un article de Christine Bard fort intéressant sur l’intégration d’une perspective féministe à l’histoire.

Enfin, il est primordial, dans une perspective féministe, de porter attention à l’agentivité des femmes, c’est-à-dire le caractère actif (et non passif) des femmes en question, dans la façon dont nous rapportons les faits historiques ainsi que dans les textes que nous utilisons.

Par exemple, dans cet extrait de la biographie de Kenojuak Ashevak que l’on retrouve sur le site « Histoire Canada », l’agentivité de cette artiste est évacuée au profit de celle d’un homme blanc en situation de pouvoir :

Grande artiste inuite. Née dans un igloo sur la côte sud de l’île de Baffin, Kenojuak Ashevak débute sa carrière d’artiste en 1958, lorsqu’un administrateur du gouvernement découvre son talent.

La même chose est souvent observée dans plusieurs textes historiques québécois où l’on mentionne que le premier ministre Adélard Godbout « a donné le droit de vote aux femmes », évacuant les mobilisations et les combats de longue haleine menés par les femmes pour obtenir le droit de vote.

Brunet et Demers (2018) ont mis sur pied un atelier pour faire ressortir l’agentivité des femmes (ou son absence) dans divers manuels didactiques d’histoire. En voici une version adaptée pour le collégial à partir de l’article original paru dans la revue Recherches féministes.

Document

Les femmes et la philosophie

La philosophie est, encore aujourd’hui, l’une des disciplines où les femmes sont le moins bien représentées, que ce soit au niveau des étudiantes, des professeures ou des philosophes étudiées dans les cours de philosophie au collégial. Au-delà de Simone de Beauvoir et de Hannah Arendt, souvent présentées comme les « femmes de », il convient d’intégrer plus de femmes philosophes aux cursus de philosophie au collégial.

Pour faire un tour d’horizon de la problématique :

  1. Place des femmes en philosophie : un panorama de la question
  2. Femmes en philosophie : enseigner et briser le plafond de verre
  3. Philosopher en féministes : volume 31, no 2, 2018 de la revue Recherches féministes

Pour construire des plans de cours diversifiés et inclusifs :

  1. Enseignement – Comité Équité de la Société de Philosophie du Québec
  2. Liste d’auteures féminines en philosophie
  3. 37 femmes philosophes ou féministes que vous devriez connaître
  4. Revue des femmes philosophes
  5. Femmes philosophes, femmes dissidentes

Dans le cours L’être humain, par exemple, il est important de ne pas aborder uniquement des philosophes masculins qui présentent une vision masculine de l’être humain. Certaines thématiques comme la maternité, la famille, l’empathie, etc. sont plus susceptibles de toucher les femmes et ne sont pas souvent abordées par les philosophes masculins traditionnels.

Les femmes et la littérature

Tout comme en philosophie, il y a une sous-représentation d’oeuvres d’écrivaines dans les programmes d’enseignement des lettres et de la littérature au cégep (Deglise, 2017). Les femmes comptent pour moins de 10% des lauréats du Prix Nobel de littérature. Voici quelques pistes de réflexion et d’action pour favoriser une meilleure intégration des écrivaines ainsi qu’une perspective de genre dans les cours de littérature au collégial.

Quelques pistes de réflexion
  1. Lire la littérature : construire l’égalité. Ou de l’intérêt d’enseigner la littérature avec une perspective de genre : un article relatant les résultats d’un projet dont le but était de produire des ressources pédagogiques intégrant une perspective de genre dans l’analyse de textes choisis de la littérature française (Della Vecchia, Fidecaro et Foehr, 2013).
  2. « Le bal des absentes » remet les femmes au coeur de l’enseignement de la littérature : article paru dans Le Devoir qui présente un projet de blogue visant à mettre davantage en valeur les écrivaines dans les cours de littérature au collégial.
  3. Enseigner la littérature des femmes : transmission et consécration : analyse comparative de deux anthologies de la littérature québécoise utilisées actuellement comme manuels dans le réseau collégial pour le troisième cours de la formation générale en français (Littérature québécoise) selon une perspective féministe.
  4. Femmes et littérature : l’universel n’a pas qu’un sexe : article paru dans La Presse et portant sur l’invisibilité des femmes écrivaines dans les programmes de littérature.
Quelques pistes d’action
  1. S’assurer que, parmi les oeuvres choisies, on compte un nombre paritaire d’écrivains et d’écrivaines et ce, à chaque session.
  2. Adopter une perspective critique en ce qui a trait aux rapports sociaux de sexe présentés dans les oeuvres étudiées (replacer les propos dans leur contexte historique).
  3. Le bal des absentes : Né du constat que les oeuvres rédigées par les femmes occupent une place marginale dans les corpus littéraires, Le bal des absentes propose de découvrir et de commenter différents titres d’auteures d’ici et d’ailleurs. Dans ce recueil de textes issus du blogue du même nom, Julie Boulanger et Amélie Paquet, deux professeurs de littérature au cégep, désirent mettre en valeur le travail des écrivaines, et offrir aux enseignant.e.s des alternatives aux oeuvres qui font autorité. Pieds de nez aux discours blasés et au cynisme ambiant, les textes célèbrent les femmes et leur littérature, le monde de l’enseignement, ainsi que les étudiants et les étudiantes qui découvrent, sous le regard conquis de leurs professeures, le pouvoir infini de la littérature.

Les femmes et les sciences politiques

Malgré les avancées des dernières années en matière de participation politique des femmes, notamment à l’Assemblée Nationale du Québec, celles-ci demeurent sous-représentées à tous les niveaux : municipal, provincial et fédéral. Il importe non seulement de s’interroger sur cette situation toujours inégalitaire, mais aussi de se demander comment il serait possible d’agir en contexte d’enseignement au collégial pour mettre en valeur les contributions politiques des femmes et des féministes.

Quelques pistes de réflexion
  1. Faut-il étudier les femmes en science politique? : pour faire le tour de la question en contexte québécois.
  2. Les québécoises et les représentations parlementaires, par Manon Tremblay
  3. 100 questions sur les femmes et la politique, par Manon Tremblay
Quelques pistes d’action
  1. Si des oeuvres ou des textes sont à lire, s’assurer d’une représentation paritaire des auteurs et autrices.
  2. Aborder les mécanismes démocratiques actuels comme n’étant pas neutres, mais inscrits dans un système caractérisé par diverses oppressions. Par exemple, les femmes ont autant le droit et la compétence pour se porter candidates aux élections. Pourtant, elles sont moins nombreuses à la faire et sont moins souvent élues que les hommes. Pourquoi?
  3. Comparer les mesures pouvant être mises en place pour favoriser une participation plus équitable des femmes et des hommes en politique (quotas, discrimination positive, obligation de parité au sein des partis, etc.).
  4. Comparer les responsabilités reçues par les femmes et les hommes élu·e·s.
  5. Comparer le traitement médiatique (vocabulaire utilisé, questions posées, etc.) des hommes et des femmes élu·e·s.

Les femmes et la psychologie

La psychologie a longtemps considéré l’homme comme étant la norme, en plus de retenir et de mettre de l’avant principalement les théories développées par les psychologues masculins. Or, il existe des théories féministes de la psychologie qu’il importe d’aborder de la même façon que les théories dites traditionnelles.

Quelques psychologues et psychanalystes féministes
  1. Ethel Dench Puffer Howes (l’une des premières femmes à entrer dans le champ de la psychologie);
  2. Jean Baker Miller (psychoanalyste et psychiatre à qui l’on doit la théorie relationnelle-culturelle, aussi une forme de thérapie);
  3. Jessica Benjamin (psychoanalyste américaine s’étant intéressée, entre autres, à l’amour en fonction du genre);
  4. Ranjana Khanna (théoricienne s’étant intéressée, entre autres, à la psychanalyse du point de vue du colonialisme);
  5. Maud Mannoni (psychanalyste française ayant contribué à la diffusion de l’antipsychiatrie);
Quelques pistes d’action
  1. Bibliographie pour une psychologie critique ou féministe : une liste d’ouvrages permettant d’apporter des nuances aux théories traditionnelles, surtout pensées par des hommes.
  2. Souligner les biais sexistes de certaines théories et les replacer dans leur contexte social (par exemple, plusieurs écrits de Freud).
  3. Présenter les théories psychanalytiques féministes, qui soutiennent que le genre n’est pas biologique (contrairement au sexe), mais plutôt basé sur le développement psychosexuel de la personne;
  4. Présenter une diversité de points de vue et de théories.

Les femmes et les sciences économiques

Le Prix Nobel d’économie n’a été remis à une femme qu’une seule fois, soit à Elinor Ostrom, en 2009, pour son analyse de la gouvernance économique et des biens communs. Or, il existe de nombreuses femmes économistes, même si elles sont sous-représentées, de même que des perspectives féministes ayant été intégrées à cette discipline.

Quelques pistes de réflexion
  1. Vers des sciences économiques féministes
  2. If Women Counted: A New Feminist Economics, ouvrage par Marilyn Waring portant sur une critique féministe des sciences économiques.
  3. Un portrait de l’économie féministe;
  4. Perspectives féministes en sciences économiques;
  5. Vers une meilleure intégration du genre dans les sciences économiques.
  6. Recherches de l’IRIS portant sur les femmes
  7. Dambisa Moyo, économiste zambienne
Quelques pistes d’action
  1. Aborder l’économie du care (des soins) : le travail domestique et reproductif des femmes, non rémunéré, est pourtant absolument nécessaire au bon fonctionnement de la société et de l’économie. Pourtant, ce travail essentiel n’est ni valorisé, ni pris en considération dans les théories économiques traditionnelles (voir entre autres le livre Le care);
  2. Remettre en question les stéréotypes associés aux professions, c’est-à-dire le fait qu’il y ait des professions traditionnellements féminines et masculines et que ces dernières soient mieux rémunérées que les premières.

Les femmes en STIM

Malgré les nombreuses initiatives visant à attirer davantage de femmes dans les professions liées aux sciences, aux technologies, à l’ingénierie et aux mathématiques (STIM), celles-ci demeurent minoritaires, particulièrement dans les domaines des mathématiques, de l’informatique et de la physique.

Intégrer des critiques féministes en STIM pose tout un défi, étant donné le caractère objectif par défaut attribué à ces disciplines scientifiques. Or, elles ne sont pas exemptes de biais sexistes. En voici quelques exemples :

  1. Pourquoi les médicaments ont souvent des effets secondaires dangereux pour les femmes (vidéo en anglais avec sous-titres en français)
  2. La socialisation sexiste et les responsabilités associées aux femmes les amène à retarder une consultation chez le médecin ou à l’urgence, alors qu’elles ne sont pas moins à risque.
  3. La représentation du clitoris dans les manuels d’anatomie : quand l’idéologie prend le dessus sur la science.
Quelques pistes d’action
  1. Souligner clairement les contributions des femmes (notamment des femmes canadiennes) aux avancées scientifiques lorsqu’elles sont présentées en classe. Souvent, des femmes ont contribué à de grandes découvertes, mais leurs contributions ont été occultées alors qu’un homme s’est adjoint le mérite de la découverte. Il est donc important de faire quelques recherches avant d’attribuer tout le travail à un seul homme;
  2. Porter une attention particulière aux termes utilisés pour décrire les phénomènes biologiques. Une analyse de plusieurs manuels didactiques de biologie, du primaire au doctorat en médecine, a révélé que les termes utilisés pour décrire les actions du spermatozoïde et de l’ovule durant la fécondation sont fortement empreints de stéréotypes sexuels. En effet, on présente souvent ce processus comme étant une course, une compétition entre les spermatozoïde et le « gagnant » est celui qui réussira à féconder l’ovule, qui attend, soumis, passif, d’être fécondé. En fait, ce serait plutôt l’ovule qui choisit le spermatozoïde, et non l’inverse.
  3. Grâce aux neurosciences, on sait maintenant qu’il y a plus de variabilité entre les cerveaux des individus, tous sexes confondus, qu’entre les cerveaux des hommes et des femmes. Les différences observées entre les femmes et les hommes seraient donc socialement apprises. Il convient donc de déconstruire, avec les étudiant·e·s, les caractéristiques associées naturellement aux femmes et aux hommes, celles-ci étant en fait des stéréotypes sexuels.

Références

BLANCHARD, Soline, CHAKER, Saloua, DAMMAME, Aurélie, FOUGEYROLLAS, Dominique, FALQUET, Jules, HAMEL, Christelle, LATOUR, Emmanuelle, ROUCH, Hélène et SOFIO, Séverine (2005). « Parce qu’on ne naît pas prof, on le devient… », Transmission : savoirs féministes et pratiques pédagogiques, 27-28 mai 2005, pp. 15-33, accessible à : https://journals.openedition.org/cedref/644

BOURGAULT-CÔTÉ, Guillaume (2018). « Des Félix difficiles d’accès pour les femmes », Le Devoir, article publié le 8 novembre 2018, accessible à : https://www.ledevoir.com/culture/musique/540828/des-felix-difficiles-d-acces-pour-les-femmes

BRUNET, Marie-Hélène et DEMERS, Stéphanie (2018). « Déconstruire le manuel d’histoire pour (re)construire des savoirs plus justes : récit de pratique en formation initiale et continue des enseignantes et enseignants », Recherches féministes, Pédagogies féministes et pédagogies des féminismes, Vol. 31, No 1.

CONNELLY, Christopher (2012). « Is The Nobel Prize A Boys Mostly Club? », NPR, article publié le 15 octobre 2012, accessible à : https://www.npr.org/2012/10/12/162813929/is-the-nobel-prize-a-boys-mostly-club

DEGLISE, Fabien (2017). « « Le bal des absentes » remet les femmes au coeur de l’enseignement de la littérature », Le Devoir, article publié le 22 avril 2017, accessible à : https://www.ledevoir.com/lire/496894/le-bal-des-absentes-remet-les-femmes-au-coeur-de-l-enseignement-de-la-litterature

DEMERS, Maxime (2016). « Les femmes sous-représentées dans la culture québécoise », Le Journal de Montréal, article publié le 13 juin 2016, accessible à : https://www.journaldemontreal.com/2016/06/13/les-femmes-sous-representees-dans-la-culture-quebecoise