Stéréotypes de genre au secondaire

L’entrée au secondaire correspond approximativement à l’entrée dans l’adolescence. Cette période, souvent amorcée depuis la fin du primaire, est porteuse pour les jeunes de grands bouleversements tant identitaires que physiques, physiologiques, hormonaux et émotionnels. Ces changements sont le fait des hormones sexuelles qui transportent l’enfant vers l’âge adulte: c’est la puberté. Pendant cette période, la croissance s’accélère et le corps se prépare progressivement à l’acquisition de sa fonction de reproduction. Certes, les changements physiques sont évidents, mais il se produit simultanément des changements majeurs du point de vue métabolique, intellectuel, social et émotionnel. C’est à travers ce processus que l’adolescent-e sera amené à questionner, puis à définir son identité, ses attirances sexuelles et amoureuses et son rapport au monde.

 

Pour aller plus loin, consultez cet article sur la différenciation des processus de puberté en lien avec les stéréotypes de genre: https://www.ined.fr/fr/tout-savoir-population/memos-demo/focus/l-age-de-la-puberte-chez-les-garcons/

Non seulement ces profondes transformations sont analysées et perçues (Vinel: 2014) sous la lentille du genre, mais l’expérience des jeunes est, elle aussi, déterminée et orientée par l’adhésion plus ou moins forte aux stéréotypes de genre qui les entourent depuis leur naissance. Dans cette section, nous explorerons l’influence des stéréotypes de genre sur les différentes étapes du développement à l’adolescence.

La socialisation genrée et les stéréotypes de genre

Depuis le 17e siècle jusqu’à aujourd’hui, nombreuses ont été les recherches qui ont mis en lumière toute une panoplie de différences entre les cerveaux des hommes et des femmes. Dans les dernières décennies, et surtout depuis l’arrivée de l’imagerie cérébrale, plusieurs de ces idées ont été démenties pour privilégier la thèse d’une diversité cérébrale, cognitive et psychologique, sans égard au sexe (Jordan-Young: 2011, Fine 2010, Vidal 2013). Il n’y aurait donc pas ou peu de fondements biologiques aux différences cognitives entre les hommes et les femmes, à l’exception des fonctions liées à la reproduction (Vidal, 2017), et il n’y aurait surtout pas de traits spécifiques qu’on ne retrouverait que chez les hommes ou que chez les femmes (CSE, 1999).

C’est plutôt à travers l’apprentissage, l’expérience vécue et l’imitation que les enfants et les adolescent·e·s développent progressivement leurs aptitudes, préférences et forces (Kass et coll., 1998; Spelke, 2005). Par exemple, un enfant qui sera fortement encouragé et stimulé dans les activités motrices développera ses habiletés ainsi que des connexions cérébrales en ce sens. Ce processus témoigne de la plasticité cérébrale c’est-à-dire que les connexions neuronales dans le cerveau se modifient selon l’expérience et l’apprentissage tout au long de la vie. Cela signifie aussi qu’il est possible de développer de nouvelles connexions neuronales, donc de nouveaux apprentissages, que nos expériences ne nous auraient pas permis, jusqu’à présent, de développer. Puisque le développement de l’enfant, et donc de son cerveau, est lié à sa socialisation, on remarque des différences cognitives entre les filles et les garçons puisque la socialisation est fortement genrée. En effet, l’enfant va intégrer divers éléments culturels (valeurs, normes, croyances, règles de conduite) en fonction de son genre puisque les comportements des adultes ainsi que les modèles sociaux sont différents selon si on est une fille ou un garçon. Les filles et les garçons n’apprennent pas les mêmes valeurs, normes, règles et croyances et ne sont pas stimulé·e·s de la même façon. Une grande partie de cette socialisation différenciée se fait de façon inconsciente. Elle a pour effet de reproduire les stéréotypes de genre, qui sont des clichés réducteurs qui associent les femmes, les hommes, les filles et les garçons, à deux univers séparés en leur assignant des caractéristiques distinctes sans égard à leur individualité (SCF: 2018).

Exemples de stéréotypes de genre

Source: Secrétariat à la condition féminine, 2018

FillesGarçons
Les filles sont plus dociles et cherchent à plaire.Les garçons écoutent moins les consignes et sont moins attentifs.
Les filles vont parfois bouder plus longtemps et pour rien.Les conflits sont plus facilement réglés avec les garçons; c'est moins dramatique.
Les filles sont plus calmes et patientes.Les garçons prennent plus de place et bougent tout le temps.
Les filles sont plus persévérantes.Les garçons veulent tout comprendre et sont créatifs.
Les filles sont plus manipulatrices. Elles jouent sur les sentiments.Les échanges entre garçons sont plus directs et violents.
Les filles sont plus fragiles.Les garçons ne pleurent pas.
Les filles sont intéressées par la mode, les arts et les garçons.Les garçons aiment les jeux vidéo et le sport.
Les filles sont plus perfectionnistes et meilleures pour faire le ménage.Les garçons sont plus désordonnés et s’appliquent moins dans les tâches ménagères.
Les filles sont bonnes en français.Les garçons sont bons en mathématiques.

Une fois dans l’adolescence, les jeunes ont généralement déjà bien intégré les stéréotypes de genre et leurs attitudes, leurs aptitudes et leurs valeurs commencent à se différencier de façon plus importante. Ces différences qui sont au moins en partie le produit de la socialisation interviennent donc sur toutes les étapes de la construction identitaire qui s’opère au cours de l’adolescence. Ils interviennent dans l’encadrement du milieu, mais aussi dans les attentes que les jeunes développent face à eux-elles-mêmes.

La construction identitaire à l’adolescence

Sur le plan psychologique, la tâche centrale de l’adolescence consiste à construire son identité au sens large (CSE, 1999). Elle se divise en trois grandes opérations: la construction de l’identité propre (qui je suis, en quoi je crois), construction de l’identité par rapport aux relations sociales (qui je suis avec les autres), construction de l’identité sexuée (comment je définis mon genre et mes attirances).

Qui-suis je?

L’adolescence est la période charnière du développement du concept de soi. À ce moment, au travers de questionnements sur les valeurs, les perspectives d’avenir et les croyances, le ou la jeune prend conscience et fait des choix concernant sa spécificité, ses particularités.

Qui suis-je avec les autres?

Ici, la construction identitaire des adolescent-es s’effectue au regard de deux éléments de socialisation distincts, mais interreliés. La socialisation provenant du monde adulte (famille, école, culture) va pousser l’adolescent·e à intérioriser les normes et les règles sociales. Il va généralement se conformer aux attentes liées rôles genrés en fonction des stéréotypes de genre véhiculés dans son milieu socioéconomique d’origine (CSE, 2018).

L’adolescent·e va aussi être largement influencé·e par ses pairs qui prennent une place grandissante, notamment dans la mesure où une quête d’autonomie prend place. Ainsi, les attentes et les normes formulées dans les univers juvéniles vont largement influencer la construction identitaire et l’interprétation des rôles sociaux des adolescent-e-s (CSE, 2018). Dans ce contexte, les stéréotypes de genre vont notamment intervenir dans l’acquisition d’un capital de popularité auprès des autres (Richard, 2019).

Comment je définis mon être sexué?

Les changements hormonaux, physiques et physiologiques liés à la puberté permettent la consolidation de l’identité de genre. Durant cette période, les jeunes ont souvent tendance à utiliser les stéréotypes de genre dans leurs comportements, leur attitude, leur habillement, afin, inconsciemment, de consolider leur identité de genre.  Ainsi, si l’identité de genre se développe principalement entre 2 et 7 ans, il est important de se rappeler que cette dernière continue à évoluer et peut se transformer tout au long de la vie (Mieeya et Rouyer, 2013). Les expériences relationnelles amicales et amoureuses, quant à elles, permettent souvent d’apporter un éclairage sur les types d’attirances qui se développent. C’est souvent à l’adolescence que se détermine l’orientation sexuelle des jeunes.

Ainsi, pour définir leur concept de soi, les jeunes vont vivre à l’adolescence plusieurs expériences et besoins qui vont consolider leur développement psychosexuel et les mener vers une plus grande autonomie.

12 à 14 ans15 à 17 ans
Développe sa façon d’exprimer sa féminité ou sa masculinitéDéveloppement de l’intimité affective et sexuelle et place du désir
Désir d’acceptation de la part d’autrui (conformisme et loyauté)Passage de l’adolescence vers l’âge adulte qui suppose une plus grande responsabilité quant aux rôles sociaux et sexuels
Importance marquée des amisSentiment d’invincibilité et pensée magique
Désir de proximité (amis, amoureux)Importance du groupe d’amis
Questionnements sur son identitéRelations amoureuses et sexuelles
Tendance à tester ses limites (goût du risque) et celles des figures d’autorité (parents, enseignant-e-s, intervenant-e-s)
Intérêt croissant pour la séduction, les relations amoureuses et les pratiques sexuelles
Contact souvent délibéré avec la pornographie

Source: Centre intégré de santé et de services sociaux du Centre-sud de l’Île-de-Montréal

Pendant cette période, les stéréotypes de genre peuvent à la fois représenter des contraintes et des espaces d’exploration. Ces stéréotypes sont renforcés principalement par la famille, l’école et les médias. La rigidité des modèles ainsi que l’adhésion plus ou moins forte à ces derniers vont influencer la mobilité de genre des jeunes, donc la capacité pour les jeunes de remettre en question ou de se distancier des attentes et des normes attribuées à leur sexe biologique (Bouchard, St-Amant et Jacques Tondreau, 1997). Ainsi, plus le cadre offert permet aux jeunes d’avoir une réflexion dans laquelle on permet la remise en question des stéréotypes de genre, plus on leur permet de vivre ces étapes de développement psychosexuel dans la liberté et avec un espace suffisant pour permettre une affirmation d’un soi authentique.

La construction identitaire des garçons

La construction identitaire des adolescents qui s’identifient comme garçons est marquée par l’impératif de prouver leur virilité et elle se définit en priorité par rapport aux autres garçons et aux hommes. Elle prend d’ailleurs beaucoup d’espace dans les interactions sociales masculines, et ce, tout au long de la vie. Ainsi, le fait d’être devant d’autres garçons ou d’autres hommes peut exacerber ce besoin de démontrer une forte virilité et le cercle familial ou amoureux peut le diminuer. (Denis Jeffrey, 2016). L’idée pour l’adolescent est de démontrer qu’il est différent des femmes, des homosexuels ou des enfants. Il est donc fondamental d’exclure toute attitude, aptitude ou comportement qui pourrait être celui d’une fille (Denis Jeffrey, 2016). La démonstration de la virilité passe donc souvent par des rites et des épreuves de virilité qui donnent lieu à des comportements parfois extrêmes où les garçons vont tenter de reproduire les modèles de la virilité dominante telle que véhiculée au cinéma, dans les vidéoclips, dans les médias sociaux et les jeux vidéos (guerrier, charmeur de femmes, cascadeur, aventurier, etc). En ce sens, certaines auteures affirment que la plupart des transgressions des adolescents; les actes de défi, d’insolence et de violence physique, sexiste ou homophobe, peuvent être comprises non pas comme des problèmes de comportement, mais comme des conduites découlant des rites visant à prouver la masculinité (Ayral 2011: 6 dans Denis Jeffrey 2016). La recherche d’autonomie et la construction identitaire des garçons se situent donc peu en relation avec le monde adulte.

Les travaux de Bouchard et St-Amant (1996) suggèrent que, de manière générale, les garçons adhèrent plus aux stéréotypes sexuels et restent plus proches des modèles de sexe proposés que les filles. Il est intéressant de noter, par ailleurs, que ces modèles de sexe « leur donnent du pouvoir socialement » (Bouchard, St Amant et Tondreau, 1997). Dans l’ensemble, les garçons démontrent une plus grande propension au conformisme en ce qui a trait à leur définition de « l’identité masculine ». Les garçons seraient aussi plus enclins à approuver une situation inégalitaire. Enfin, par diverses prises de position, plusieurs garçons manifestent une distanciation certaine de monde scolaire (Bouchard, St-Amant et Tondreau, 1997).

De façon générale, l’équipe de rédaction privilégie l’utilisation du mot « genre » et « stéréotypes de genre » à « sexe » et « stéréotypes sexuels ». Ce vocabulaire faire référence au caractère social de l’identité sexuée et nous prenons une distance face aux représentations binaires (homme et femme) du spectre du genre. Cependant, certains auteurs et autrices de texte plus anciens n’utilisaient pas ce vocabulaire qui s’est popularisé dans les dernières décennies. Les textes de Bouchard, St-Amant et Tondreau en sont un bon exemple. Par soucis de citer fidèlement les propos rapportés, nous avons maintenu dans ce cas-ci l’utilisation du terme stéréotype sexuel.

La construction identitaire des filles

Alors que les garçons construisent leur identité en portant attention aux réactions des autres garçons et des hommes, les filles sont souvent plus ouvertes et à l’écoute du monde des adultes (CSE, 1999). Leur construction identitaire n’est pas, comme celle des garçons, articulée autour de l’obligation de prouver leur féminité, ni à se distancier de tout élément perçu comme masculin pour être reconnue comme une femme. La construction identitaire des filles a une forte dimension relationnelle. En plus de la recherche d’autonomie croissante qui caractérise l’adolescence, elles tiennent compte de leurs relations interpersonnelles dans la validation de leur identité. Elles sont plus animées par la volonté de se faire accepter par l’autre et le regard des adultes est plus souvent pris en compte (CSE, 1999). Par exemple, les filles vont plus souvent poser des actions dans la perspective de se faire accepter, voire apprécier par l’enseignant ou l’enseignante et par le groupe de pairs. Cette attitude a souvent pour conséquence que les filles seront davantage dociles face aux règles qui émergent du monde des adultes.

Si les filles semblent en moyenne plus préoccupées par la validation du monde des adultes, elles adhèrent, en moyenne, moins aux stéréotypes de genre que les garçons. Elles sont plus nombreuses à montrer des signes de résistance ou de rébellion par rapport aux normes et aux valeurs qui en découlent en plus d’être moins enclines à porter un jugement sur la base de l’appartenance à un sexe ou à l’autre (Bouchard, St-Amant, 1996). Cette plus grande souplesse serait, selon Bouchard, St Amant et Tondreau (1997) liée à une meilleure compréhension et conscience des rapports sociaux de sexe, notamment parce que le sexisme joue en leur défaveur.

Évidemment, tous les garçons et toutes les filles n’adhèrent pas de façon uniforme aux stéréotypes de genre. Certains auront tendance à s’y conformer fortement, alors que d’autres s’en distancient. Les jeunes qui ne correspondent pas aux normes, valeurs et attitudes attendues sont plus à risque de vivre de l’exclusion ou de l’intimidation à l’école (SCF, 2018). Si l’on observe les critères qui contribuent à la popularité durant cette période, on constate qu’ils sont différents chez les garçons et chez les filles. Chez ces dernières, les caractères les plus importants pour déterminer sa popularité sont l’attrait qu’elles représentent pour les garçons (être convoitée par les garçons) et le fait d’être à la mode. Pour les garçons, c’est la démonstration sans équivoque d’un désir et/ou d’une sexualité hétérosexuelle (vanter ses conquêtes) et certaines attitudes machistes (dénigrer les filles) (Duncan: 2004, Mac an Ghaill: 2000, Richard : 2019). L’adhésion aux stéréotypes de genre varie selon le niveau socioéconomique des enfants. Les enfants provenant des milieux économiquement plus défavorisés adhèrent plus fortement aux stéréotypes de genre tout comme ceux et celles dont les parents sont moins scolarisés (Bouchard et St-Amant, 1996, CSE, 2018). Cet élément est important à considérer, notamment dans le contexte où la pauvreté constitue le premier déterminant de la persévérance scolaire.

En somme, la construction identitaire représente la tâche centrale de l’adolescence. Pendant cette période, l’enfant construit les fondations de l’adulte qu’il/elle deviendra. En ce sens, cette période charnière, notamment régimentée par l’adhésion plus ou moins forte aux stéréotypes de genre, aura des retombées déterminantes sur plusieurs dimensions de la vie de l’adolescent; sa vie affective et amoureuse, son image corporelle, l’expression de son identité, son attitude face au partage des responsabilités familiales et, bien sûr, sur sa réussite scolaire et ses choix professionnels (CSE, 2018). Ainsi, diminuer l’adhésion aux stéréotypes de genre dans l’enfance et dans l’adolescence peut permettre un plus libre développement des individus, mais il s’agit aussi d’une stratégie pour des rapports plus égalitaires, notamment dans l’école, et d’une stratégie pour la réussite scolaire. Cette stratégie est aussi cohérente avec les principes de l’école inclusive et bienveillante telle que promue par le Conseil supérieur de l’éducation (20172018).

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