Spécificités du rapport à l’apprentissage chez les tout-petits

La socialisation des enfants est différenciée selon leur sexe durant la petite enfance, que ce soit par l’environnement, les jouets qui leur sont proposés, la famille ou le personnel dans les milieux de garde éducatifs (Amboulé Abath, 2009). Les enfants vivent ainsi une expérience éducative différenciée selon leur sexe. Cette section présente de quelles façons la socialisation genrée module les caractéristiques du rapport à l’apprentissage des enfants.

D’abord, cela se traduit par des interactions différenciées avec les adultes et les pairs. Les adultes, parents et personnel éducateur, bien qu’ils et elles ont l’impression de ne pas agir de façon différenciée avec les enfants, modifient leurs comportements selon le sexe de l’enfant. Cela mène donc à des apprentissages différents et une expérience également différente pour les enfants. Plus les enfants vieillissent, plus leurs pairs ont une influence sur leurs comportements.

Les jouets, les activités et le matériel présentés aux enfants ne sont pas non plus exempts de stéréotypes, au contraire. Ils créent ainsi une expérience d’apprentissage différenciée selon le sexe de l’enfant, permettant aux filles de développer certaines compétences et aux garçons d’en développer d’autres.

Les énoncés qui suivent proviennent principalement du Guide d’observation des comportements des professionnel-le-s de la petite enfance envers les filles et les garçons (Ducret et Le Roy, 2012), de l’Étude qualitative portant sur les rapports égalitaires (garçons et filles) en service de garde d’Anastasia Amboulé Abath (2009) et du Portail sans stéréotypes du Secrétariat à la condition féminine (2018).

En général

Interactions avec les adultes et les pairs
  1. Au niveau de la motricité, un petit garçon « peu adroit » sur le plan moteur reçoit généralement davantage de remarques négatives qu’une petite fille pourtant au même niveau de développement moteur. Une petite fille jugée « agitée » reçoit davantage de remontrances qu’un petit garçon.
  2. Les adultes utilisent moins souvent le prénom des filles que celui des garçons quand ils s’adressent aux enfants.
  3. Les intervenant·e·s utilisent un discours universaliste comme si le monde n’était que masculin (règle « le masculin l’emporte »).
  4. Les références sont surtout féminines quand il s’agit du rôle des parents dans les domaines domestiques et maternants.
  5. Le groupe des garçons est désigné différemment de celui des filles (par exemple, « mes grands » par opposition à « mes princesses » ou « mes belles »).
  6. Les adultes permettent moins aux garçons qu’aux filles d’exprimer leurs émotions.
  7. Les stéréotypes qui veulent que les garçons soient plus rationnels, cartésiens, donc plus doués que les filles en sciences, et que celles-ci soient plus émotives, plus créatives, et donc supérieures aux garçons en art ou en littérature, sont très persistants. Ces idées préfabriquées sur les compétences des filles et des garçons peuvent avoir des conséquences importantes sur leur confiance et leur motivation sur le plan scolaire.
  8. Les enfants jouent moins souvent avec un objet typique du sexe opposé en présence d’un pair, et plus particulièrement en présence d’un enfant du sexe opposé.
  9. Plus les filles et les garçons passent de temps avec des enfants de même sexe, plus leur comportement devient différencié selon le sexe.
Jouets, activités et matériel
  1. Le choix des jouets et des vêtements par les parents dépend du sexe du bébé et non pas du comportement spontané de celui-ci.
  2. Dès l’âge de 20 mois, les enfants ont des jouets préférés typiques de leur propre sexe.
  3. Vers 2-3 ans, les enfants ont déjà des connaissances substantielles sur les activités, professions, comportements et apparences stéréotypés dévolus à chaque sexe.
  4. Quand il s’agit du matériel (noms des marionnettes, outils d’animation, personnages), les références sont surtout masculines.
  5. Les enfants, et particulièrement les garçons, qui s’engagent dans des activités typiques du sexe opposé récoltent des retours négatifs de la part des pairs. Les activités désapprouvées sont terminées plus rapidement que celles qui sont renforcées positivement.

Chez les filles

Interactions avec les adultes et les pairs
  1. Les adultes chantent des chansons et parlent davantage aux bébés filles.
  2. On aborde plus souvent la question des états émotionnels, des sentiments avec les filles, ce qui développe davantage leur sensibilité envers autrui et favorise l’émergence d’un style d’interaction plus coopératif dans les groupes de filles.
  3. Les filles sont plus souvent sollicitées pour aider les garçons que l’inverse.
  4. Elles reçoivent davantage d’attention des professionnel·le·s lorsqu’elles sont à proximité de l’adulte (3-5 ans).
  5. Les professionnel·le·s les interrompent plus souvent que les garçons.
  6. Elles sont priées de se taire lorsqu’elles sont trop « bavardes ».
  7. Les filles sont plus sollicitées pour ranger les jeux.
  8. Quand il y a un conflit entre les enfants, les adultes proposent plus souvent aux filles de concilier.
  9. Les filles sont encouragées pour leur conduite.
  10. Elles sont surtout complimentées sur leur apparence esthétique.
  11. Elles sont moins félicitées quand elles se distinguent par leur performance.
  12. Les adultes adoptent un éventail d’expressions beaucoup plus large avec les filles qu’avec les garçons.
  13. Les parents prennent en charge les filles, les entourent et les maternent, ce qui les amène à compter davantage sur les adultes que sur elles-mêmes.
  14. Les filles réagissent à l’interruption de leurs jeux par les garçons en faisant des propositions pour poursuivre leur activité, en négociant, en ayant recours à l’adulte ou en fuyant.
  15. Les filles sont souvent les perdantes quand l’adulte n’est pas là pour gérer les conflits.
  16. Les filles cèdent plus facilement la place, le jeu aux garçons.
Jouets, activités et matériel
  1. Les jouets associés au sexe féminin font partie du domaine des soins, de l’esthétique, de la prise en charge des enfants et de la vente.
  2. À l’âge de 3 ans, la présence des poupées dans l’activité des filles les amène systématiquement à reproduire des scènes de maternage et à élaborer des jeux de rôles.
  3. Il y a plus de déguisements pour les filles que pour les garçons.
  4. La couleur rose est particulièrement destinée aux filles.
  5. Les petites filles sont davantage sollicitées pour faire des activités « calmes » assises autour d’une table.
  6. Les filles sont censées être obéissantes, dociles et ordonnées, et ont moins de choix dans leurs activités.
  7. Les filles s’adonnent principalement à des activités qui renvoient davantage aux jeux de faire semblant et aux jeux de rôle.
  8. Les filles rangent ou proposent de ranger les jouets, même si elles n’ont pas joué avec.
  9. Dans la littérature jeunesse…
    • les femmes sont en léger surnombre dans les seconds rôles.
    • les femmes et les filles sont plus souvent représentées à l’intérieur.
    • les femmes sont plus souvent représentées dans le rôle de maman.
    • elles sont moins nombreuses à accéder à des rôles professionnels, lesquels restent peu variés et traditionnels (éducation, soins, vente).
    • les femmes n’ont généralement accès qu’à un seul rôle : familial ou professionnel.
    • dans la sphère privée, la mère est plus représentée dans l’exercice des tâches domestiques et des activités relevant des devoirs parentaux (surveiller les devoirs scolaires, donner le bain).
    • les filles prennent davantage part aux tâches domestiques.
    • les habits portés par le sexe féminin sont liés à des rôles domestiques traditionnels (tablier).
    • les femmes et les filles portent des vêtements et des attributs exclusivement féminins (bijoux, accessoires pour les cheveux).

Chez les garçons

Interactions avec les adultes et les pairs
  1. Les adultes ont plus d’interactions physiques avec les bébés garçons.
  2. Les pères font intervenir deux fois plus de prohibitions verbales pour leurs garçons que pour leurs filles, et ce, parce que les garçons ont plus tendance à manipuler les objets interdits.
  3. Les garçons sont plus souvent punis et affichent un contrôle sur soi plus faible.
  4. Les garçons sont plus sollicités que les filles.
  5. Ils reçoivent plus d’attention de façon générale.
  6. Ils obtiennent davantage d’instructions en réponse à leurs sollicitations, ce qui les encourage à s’impliquer dans les activités (3-5 ans).
  7. Ils prennent et gardent la parole plus longtemps que les filles et occupent davantage l’espace physique et sonore.
  8. Leur indiscipline est davantage tolérée et moins réprimée.
  9. Ils sont encouragés pour leurs performances.
  10. Ils sont plus félicités et aidés.
  11. Les garçons sont plus encouragés à réussir une tâche.
  12. Ils reçoivent moins de compliments et, quand c’est le cas, c’est leur force physique qui est mise en valeur.
  13. La colère est une émotion plus tolérée chez les garçons. Dans l’enfance, ils apprennent surtout à exprimer leur colère, ce qui pourrait entraver plus tard leurs capacités à communiquer.
  14. Les questions adressées aux garçons relèvent davantage d’informations objectives concernant des objets ou des personnes (24-30 mois).
Jouets, activités et matériel
  1. Le personnel éducateur fait davantage appel aux garçons qu’aux filles pour tester un jouet stéréotypiquement masculin, mais aucune différence significative n’est observée pour les jouets neutres et féminins.
  2. L’éventail des jouets destinés aux garçons est plus étendu.
  3. Les jouets associés au sexe masculin font partie du domaine de la construction, des transports, de la technique et de la science, du maintien de l’ordre, de la guerre ainsi que des métiers liés au statut social élevé comme médecin.
  4. Les jeux de construction et d’emboîtement ainsi que les LEGOS de la gamme technique font partie des activités des garçons. Ces jeux, plus axés vers la réussite de l’activité, permettent aux garçons de manipuler des objets et d’explorer l’espace.
  5. À l’âge de 3 ans, seuls les garçons séparent l’objet poupée du jouet poupée, représentatif d’un bébé qu’on materne. Ils sont moins souvent que les filles dans le symbolique.
  6. Les petits garçons sont plus sollicités pour participer aux activités motrices.
  7. Les garçons s’engagent davantage dans des activités de sable ou d’escalade.
  8. Il arrive souvent que les garçons interrompent le jeu des filles en s’imposant, en détruisant leur mise en scène ou en les obligeant à modifier leur scénario.
  9. Les garçons ont de la difficulté à ranger, ils préfèrent continuer à jouer.
  10. Dans la littérature jeunesse…
    • Les livres racontant l’histoire d’un héros sont deux fois plus nombreux que les livres racontant l’histoire d’une héroïne.
    • Les garçons sont plus souvent illustrés sur la page de couverture.
    • les prénoms des garçons sont prédominants dans les titres des histoires.
    • les garçons sont surreprésentés dans les illustrations des albums par rapport aux filles.
    • les garçons et les hommes sont davantage surreprésentés dans les rôles centraux que dans les rôles secondaires.
    • les hommes et les garçons sont plus illustrés dans un lieu public et occupés de manière active.
    • les hommes sont représentés dans des rôles professionnels plus variés et pour certains, plus valorisés.
    • les hommes sont souvent représentés dans un double rôle familial et professionnel.
    • le père est davantage mis en scène dans des activités récréatives avec l’enfant (jeux, sports, lire un livre) ou des moments de détente (lire le journal, regarder la télévision).
    • les garçons exercent davantage d’activités sportives.
    • les garçons se disputent ou font plus de bêtises que les filles.
    • la colère ou l’indiscipline est davantage associée aux garçons qu’aux filles.
    • les jeunes garçons sont fréquemment illustrés de manière asexuée.
    • les hommes sont davantage illustrés en tenues professionnelles (lunettes).

Références

AMBOULÉ ABATH, Anastasie (2009). Étude qualitative portant sur les rapports égalitaires (garçons et filles) en service de garde, Université Laval, 140 pages.

DUCRET, Véronique and LE ROY, Véronique (2012). La poupée de Timothée et le camion de Lison. Guide d’observation des comportements des professionnel-le-s de la petite enfance envers les filles et les garçons. Le deuxième Observatoire, Genève, 67 pages. Accessible at: http://www.2e-observatoire.com/downloads/livres/brochure14.pdf

FERREZ, Eliane (2006). « Éducation préscolaire : filles et garçons dans les institutions de la petite enfance », Chapter 6, in DAFFLON NOVELLE, Anne, Filles – garçons Socialisation différenciée?, Grenoble: PUG, Vies sociales, 399 pages.

MURCIER, Nicolas (2007). « La réalité de l’égalité entre les sexes à l’épreuve de la garde des jeunes enfants », Mouvements, Volume 1, Number 49, pp. 53 to 62, accessible at: https://www.cairn.info/revue-mouvements-2007-1-page-53.htm

SECRÉTARIAT À LA CONDITION FÉMININE (2018). « Portail Sans stéréotypes », accessible au: http://www.scf.gouv.qc.ca/sansstereotypes/personnel-des-services-de-garde-educatifs/choix-scolaires-et-professionnels/, page accessed on November 12, 2018.

VIDAL, Catherine (2015). Nos cerveaux, tous pareils, tous différents! Laboratoire de l’Égalité, Éditions Belin, 79 pages.