Spécificités du rapport à l’apprentissage chez les tout-petits

La socialisation des enfants est différenciée selon leur genre durant la petite enfance, que ce soit par l’environnement, les jouets qui leur sont proposés, la famille ou le personnel dans les milieux de garde éducatifs39. Les enfants vivent ainsi une expérience éducative différenciée selon leur genre. Cette section présente de quelles façons la socialisation genrée module les caractéristiques du rapport à l’apprentissage des enfants. 

D’abord, cela se traduit par des interactions différenciées avec les adultes et les pairs. Les adultes, parents et personnel éducateur, bien qu’ils et elles ont l’impression de ne pas agir de façon différenciée avec les enfants, modifient leurs comportements selon le genre de l’enfant. Cela mène donc à des apprentissages différents et une expérience également différente pour les enfants. Plus les enfants vieillissent, plus leurs pairs ont une influence sur leurs comportements. 

Les jouets, les activités et le matériel présentés aux enfants ne sont pas non plus exempts de stéréotypes, au contraire. Ils créent ainsi une expérience d’apprentissage différenciée selon le genre de l’enfant, permettant aux filles de développer davantage certaines compétences et aux garçons d’en développer d’autres. 

Cette expérience éducative différenciée donne ainsi lieu à une évolution variable des domaines de développement de l’enfant en fonction de son genre. Les énoncés qui suivent proviennent principalement du Guide d’observation des comportements des professionnel-le-s de la petite enfance envers les filles et les garçons, de l’Étude qualitative portant sur les rapports égalitaires (garçons et filles) en service de garde d’Anastasia Amboulé Abath et du Portail sans stéréotypes du Secrétariat à la condition féminine. Ces constats permettent de comprendre comment le personnel éducateur et les jouets qu’on leur propose peuvent, inconsciemment, influencer le développement des filles et des garçons. 

Domaine social et affectif 

Selon les résultats de l’Enquête québécoise sur le développement des enfants à la maternelle (EQDEM) 2022, les garçons de la région sont proportionnellement plus nombreux que les filles à être vulnérables dans les domaines de développement des « Compétences sociales » et de la « Maturité affective ». Le domaine social et affectif comporte de nombreux éléments qui peuvent être influencés par les stéréotypes de genre, comme le fait de faire de choix en fonction de ses goût et ses intérêts, de participer à la vie de groupe ou de développer son estime de soi40. 

Les stéréotypes de genre liés aux intérêts et aux jouets sont acquis très tôt. Dès l’âge de 20 mois, les enfants ont des jouets préférés typiques de leur propre genre. Les enfants jouent moins souvent avec un objet typique du genre opposé en présence d’un pair, et plus particulièrement en présence d’un enfant du genre opposé. Vers 2-3 ans, les enfants ont déjà des connaissances substantielles sur les activités, professions, comportements et apparences stéréotypés dévolus à chaque genre. Les enfants, et particulièrement les garçons, qui s’engagent dans des activités typiques du genre opposé récoltent des retours négatifs de la part des pairs. Les activités désapprouvées sont terminées plus rapidement que celles qui sont renforcées positivement. Plus les filles et les garçons passent de temps avec des enfants de même genre, plus leur comportement devient différencié selon le genre. 

Le personnel éducateur fait davantage appel aux garçons qu’aux filles pour tester un jouet stéréotypiquement masculin, mais aucune différence significative n’est observée pour les jouets neutres et féminins. L’éventail des jouets destinés aux garçons est plus étendu et quand il s’agit du matériel (noms des marionnettes, outils d’animation, personnages), les références sont surtout masculines. Les jouets associés au sexe masculin font partie du domaine de la construction, des transports, de la technique et de la science, du maintien de l’ordre, de la guerre ainsi que des métiers liés au statut social élevé comme médecin. 

À l’âge de 3 ans, la présence des poupées dans l’activité des filles les amène systématiquement à reproduire des scènes de maternage et à élaborer des jeux de rôles. À cet âge, seuls les garçons séparent l’objet poupée du jouet poupée, représentatif d’un bébé qu’on materne. Ils sont moins souvent que les filles dans le symbolique. Il y a plus de déguisements destinés aux filles qu’aux garçons. 

Les filles peuvent rapidement saisir « la place » qui leur est réservée dans le groupe par le fait que les intervenant·e·s utilisent un discours universaliste comme si le monde n’était que masculin (règle « le masculin l’emporte »). Les adultes utilisent moins souvent le prénom des filles que celui des garçons quand ils s’adressent aux enfants, et le groupe des garçons est désigné différemment de celui des filles (par exemple, « mes grands » par opposition à « mes princesses » ou « mes belles »). Les références sont aussi surtout féminines quand il s’agit du rôle des parents dans les domaines domestiques et maternants, en plus du fait que les éducatrices à l’enfance sont majoritairement des femmes. Enfin, les filles sont surtout complimentées sur leur apparence, ce qui peut affecter leur confiance en leur capacité d’apprendre et de développer des compétences. 

Sur le plan affectif, on remarque que les adultes permettent moins aux garçons qu’aux filles d’exprimer leurs émotions (« les garçons, ça ne pleure pas ! »). On aborde plus souvent la question des états émotionnels, des sentiments avec les filles, ce qui développe davantage leur sensibilité envers autrui et favorise l’émergence d’un style d’interaction plus coopératif dans les groupes de filles. La colère est une émotion plus tolérée chez les garçons. Dans l’enfance, ils apprennent surtout à exprimer leur colère, ce qui pourrait entraver plus tard leurs capacités à communiquer. 

Le développement des habiletés sociales dans l’objectif de vivre des relations harmonieuses est aussi influencé par des dynamiques de genre. D’abord, les filles sont plus souvent sollicitées pour aider les garçons que l’inverse. Elles sont plus sollicitées pour ranger les jeux, et rangent ou proposent de ranger les jouets, même si elles n’ont pas joué avec eux. Les garçons, quant à eux, ont de la difficulté à ranger, ils préfèrent continuer à jouer. Quand il y a un conflit entre les enfants, les adultes proposent plus souvent aux filles de concilier. Les filles sont souvent les perdantes quand l’adulte n’est pas là pour gérer les conflits; elles cèdent plus facilement la place, le jeu pour les garçons. Il arrive souvent que les garçons interrompent le jeu des filles en s’imposant, en détruisant leur mise en scène ou en les obligeant à modifier leur scénario. Les filles réagissent à l’interruption de leurs jeux par les garçons en faisant des propositions pour poursuivre leur activité, en négociant, en ayant recours à l’adulte ou en fuyant. 

En ce qui concerne les règles de vie en groupe, les garçons sont plus souvent punis et affichent un contrôle sur soi plus faible. Leur indiscipline est davantage tolérée et moins réprimée. Les pères font intervenir deux fois plus de prohibitions verbales pour leurs garçons que pour leurs filles, et ce, parce que les garçons ont plus tendance à manipuler les objets interdits. Les garçons sont plus souvent sollicités que les filles par le personnel éducateur et reçoivent généralement plus d’attention de leur part. Entre 3 et 5 ans, les garçons obtiennent davantage d’instructions en réponse à leurs sollicitations, ce qui les encourage à s’impliquer dans les activités. 

En somme, les interactions avec les adultes et les jouets proposés de manière différenciée aux enfants influencent fortement le développement social et affectif des enfants selon leur genre. Ils et elles apprennent ainsi à fonctionner dans un groupe et à exprimer leurs émotions et leurs intérêts de manière conforme aux attentes de la société envers leur genre. 

Domaine langagier 

Les résultats régionaux de l’EQDEM 2022 nous apprennent que les garçons sont proportionnellement plus nombreux que les filles à être vulnérables dans le domaine de développement qui concerne les habiletés de communication. En s’intéressant aux études sur le sujet, on remarque que les adultes chantent des chansons et parlent davantage aux bébés filles. Les adultes adoptent aussi un éventail d’expressions beaucoup plus large avec les filles qu’avec les garçons. Enfin, les filles s’adonnent principalement à des activités qui renvoient davantage aux jeux de faire semblant et aux jeux de rôle. Tout cela avantage les filles dans le développement du domaine langagier. 

Cependant, on remarque que la prise de parole en groupe ou en public est plus encouragée chez les garçons. Les professionnel·le·s de la petite enfance interrompent en effet les filles plus souvent que les garçons. Celles-ci sont priées de se taire lorsqu’elles sont trop « bavardes », alors que les garçons prennent et gardent la parole plus longtemps que les filles et occupent davantage l’espace physique et sonore. 

Domaine physique et moteur 

Dès l’entrée à l’école primaire, les garçons ont généralement développé une plus grande motricité globale que les filles, alors que celles-ci ont une meilleure motricité fine. Pourquoi ? Plusieurs éléments peuvent expliquer cette différence. 

Dès la naissance, les adultes ont plus d’interactions physiques avec les bébés garçons, ce qui les amène à développer une meilleure conscience de leur corps très tôt. Les petits garçons sont plus sollicités pour participer aux activités motrices et s’engagent davantage dans des activités de sable ou d’escalade. Un petit garçon « peu adroit » sur le plan moteur reçoit généralement davantage de remarques négatives qu’une petite fille pourtant au même niveau de développement moteur. Cela envoie le message aux garçons qu’on s’attend d’eux qu’ils soient très bons sur le plan de la motricité globale. 

En ce qui a trait aux filles, on s’attend plutôt d’elles qu’elles soient obéissantes, dociles et ordonnées, ce qui leur laisse moins de choix dans leurs activités. Elles sont davantage sollicitées pour faire des activités « calmes » assises autour d’une table. Une petite fille jugée « agitée » reçoit davantage de remontrances qu’un petit garçon. Et comme le choix des jouets et des vêtements par les parents dépend du sexe du bébé et non pas du comportement spontané de celui-ci, on remarque que les vêtements dits « pour filles » (robes, jupes, souliers délicats, coiffures élaborées, etc.) rendent l’exploration et le développement d’une motricité globale plus difficile. À l’opposé, les activités calmes comme le bricolage ou les jeux de rôles à la cuisinette permettent aux filles de développer une motricité fine que les garçons ne sont pas encouragés à développer de la même manière. 

Domaine cognitif 

Les résultats régionaux de l’EQDEM 2022 nous indiquent que les garçons sont proportionnellement plus nombreux que les filles à être vulnérables dans le domaine des connaissances générales, qui est compris dans le domaine de développement cognitif dans le réseau de la petite enfance. En observant la socialisation des garçons et des filles, on voit comment les enfants sont encouragés à développer certaines compétences et acquérir certaines connaissances en fonction de leur genre. 

D’abord, les stéréotypes qui veulent que les garçons soient plus rationnels, cartésiens, donc plus doués que les filles en sciences, et que celles-ci soient plus émotives, plus créatives, et donc supérieures aux garçons en arts ou en littérature, sont très persistants. Ces idées préfabriquées sur les compétences des filles et des garçons peuvent avoir des conséquences importantes sur leur confiance et leur motivation sur le plan scolaire. 

Les parents prennent en charge les filles, les entourent et les maternent, ce qui les amène à compter davantage sur les adultes que sur elles-mêmes pour résoudre des problèmes. Elles sont moins félicitées quand elles se distinguent par leur performance. Enfin, les jouets associés au genre féminin font partie du domaine des soins, de l’esthétique, de la prise en charge des enfants et de la vente, ce qui les cantonnent dans un certain champ de savoir. 

Chez les garçons âgés de 24 à 30 mois, les questions qui leur sont adressées relèvent davantage d’informations objectives concernant des objets ou des personnes. Tout au long de la petite enfance, ils reçoivent moins de compliments que les filles et, quand c’est le cas, c’est leur force physique qui est mise en valeur. Ils sont encouragés pour leurs performances, plus souvent félicités et aidés. On les encourage davantage à réussir une tâche. Les jeux de construction et d’emboîtement ainsi que les LEGOS font partie des activités des garçons. Ces jeux, plus axés vers la réussite de l’activité, permettent aux garçons de manipuler des objets et d’explorer l’espace.