Stéréotypes sexuels au collégial

Si l’on considère généralement que le développement de l’identité sexuelle d’un enfant se cristallise autour de l’âge de sept ans (Boyd et Bee, 2015), des études suggèrent que la construction de l’identité sexuelle est dynamique et peut se remanier au cours du développement ultérieur de l’enfant (Mieeya et Rouyer, 2013). Quoi qu’il en soit, la majorité des étudiant·e·s du collégial a déjà internalisé plusieurs caractéristiques, attitudes et comportements traditionnellement associés à leur sexe par le biais de la socialisation genrée (SCF, 2018). Les stéréotypes sexuels marquent les différences entre les sexes et celles-ci seraient plus manifestes chez les étudiant·e·s considéré·e·s « à risque » sur le plan scolaire (Roy, Bouchard et Turcotte, 2012a, p. 34).

Développement de l’identité

La question du développement de l’identité doit être abordée sous l’angle de la persévérance scolaire selon le sexe et ce, pour deux raisons principales. Premièrement, le développement de l’identité de genre se poursuit au collégial et la construction identitaire des garçons et des filles est marquée par des différences importantes. Deuxièmement, le cheminement identitaire des étudiant·e·s peut grandement influencer leur motivation aux études, soit l’un des facteurs clés de la persévérance scolaire (Roy, Bouchard et Turcotte, 2012b). Les cégépiens et les cégépiennes sont, pour la plupart d’entre eux et elles, « à un âge et dans un lieu – le collège – où la quête identitaire se vit d’une manière intense (Roy, 2011). » (Roy, Bouchard et Turcotte, 2012a). S’interroger sur le processus de construction de leur identité et des différences selon le sexe qu’il comporte permet de mieux comprendre les jeunes, qui sont alors en période d’expérimentation, et de favoriser leur réussite scolaire.

En général

Selon le Conseil supérieur de l’éducation (2002), la transition du secondaire vers le collégial constituerait une étape critique du cheminement scolaire et personnel de l’étudiant·e dans un contexte de mutations sociales qui s’ajoute aux difficultés auxquelles il ou elle fait face en tentant de définir son identité personnelle et professionnelle. Trois dimensions principales ressortent de la littérature sur le sujet : la relation professeur-étudiant, la relation avec les parents et la pratique d’activités scolaires (Roy, Bouchard et Turcotte, 2012a). Si des différences selon le sexe apparaissent pour les deux premières dimensions, en ce qui concerne la pratique d’activités parascolaires, celle-ci aurait une influence assez importante sur le développement identitaire des étudiants, tant chez les filles que chez les garçons, puisqu’elle leur permettrait de mieux se connaître personnellement (forces, intérêts) et de s’affirmer davantage comme personne (Roy, Bouchard et Turcotte, 2012a).

La construction identitaire des garçons

Certains éléments marquent plus spécifiquement la construction identitaire des garçons. D’abord, « il semblerait que les garçons aient plus de difficulté sur le plan de la transition  secondaire-cégep » (Roy, Bouchard et Turcotte, 2012a, p. 62). Ils ont effectivement une indécision professionnelle plus marquée à leur arrivée au collégial et font un choix de carrière plus tardivement que les filles (Boutin, 2011). Ils arrivent aussi au cégep en quête d’autonomie, celle-ci étant perçue chez eux comme une condition de leur propre développement identitaire. En lien avec leur désir d’émancipation et leur affirmation identitaire, les garçons « semblent plus enclins à développer individuellement leurs modes d’apprentissage et à vouloir contourner les règles déterminées par le monde scolaire » (Roy, Bouchard et Turcotte, 2012a, p. 62).

La construction identitaire des filles

Contrairement à celle des garçons, la construction identitaire des filles au cégep est peu documentée. En opposition aux étudiants, on note toutefois que les étudiantes de niveau collégial entament leurs études postsecondaires avec un choix de carrière plus ferme et utilisent la pratique d’activités parascolaires pour être en mesure de compter sur le soutien du groupe d’appartenance associé à leur activité et construire leur identité entre autres en fonction de ce groupe (Roy, Bouchard et Turcotte, 2012a).

Développement de l’identité de genre

Enfin, la construction de l’identité de genre, tant chez les filles que chez les garçons, peut se poursuivre à l’âge adulte. Selon la Coalition des familles LGBT (2018, p. 2), l’identité de genre est « l’expérience individuelle du genre d’une personne qui peut correspondre ou non à son sexe biologique ou assigné à la naissance. Une personne peut ainsi s’identifier comme homme, comme femme ou encore se situer quelque part entre ces deux pôles, et ce, indépendamment de son sexe biologique. Toutes les personnes — toutes orientations sexuelles confondues — ont une identité de genre ». Il est donc possible que de jeunes cégépiens et cégépiennes soient en questionnement par rapport à leur identité de genre, ou encore soient trans, c’est-à-dire que leur identité de genre ne s’accorde pas avec leur sexe à la naissance, que leur transition ou leur dévoilement soit réalisé ou non. L’identité de genre n’est donc pas nécessairement liée aux intérêts des jeunes (activités, vêtements, choix de carrière). Il est « important de ne pas penser, par exemple, que le garçon qui s’intéresse à une activité dite féminine se perçoit comme une fille, ou l’inverse. » (SCF, 2018).

Stéréotypes sexuels chez les jeunes du collégial

Au cours de leur processus de construction de leur identité, les jeunes s’appuient et s’inspirent des différents modèles qu’ils et elles ont rencontrés dans leur vie, comme leur famille, leurs ami·e·s, les médias, leurs enseignant·e·s, etc. Certains de ces modèles peuvent reproduire des stéréotypes sexuels qui nous apparaissent aujourd’hui comme naturels. Par exemple, on associe la coopération, la lecture, la douceur, le relationnel et le calme au féminin, alors que la compétition, le sport, la force et l’autonomie seraient plutôt associés au masculin.

Chez les jeunes du cégep, ces stéréotypes se traduisent de différentes façons. Selon une revue de littérature sur le sujet, « les filles s’investiraient davantage dans les relations qu’elles nouent à travers leurs réseaux sociaux (Boisvert et Martin, 2006; Gingras et Terrill, 2006; Rivière et Jacques, 2002). L’esprit de coopération représenterait plus souvent une valeur de référence importante qu’elles ont bien intégrée au cégep (Roy, 2006). Chez les garçons en général, l’individualisme et la compétition seraient des valeurs plus prégnantes chez eux (Roy, 2006). Leurs réseaux sociaux seraient généralement moins riches que ceux des filles (Cloutier, 2004) » (Roy, Bouchard et Turcotte, 2012b, p. 9). De plus, « les garçons auraient une propension moins élevée que les filles à recourir aux ressources existantes en cas de problème (Cloutier, 2004; Dulac, 2001; Larose et Roy, 1994; Tremblay et al., 2006). […] Brooks (1998) a illustré schématiquement les contradictions entre les exigences posées pour recevoir de l’aide (ex.: dévoiler sa vie privée, renoncer au contrôle, être vulnérable, faire de l’introspection, faire face à sa douleur et à sa souffrance, etc.) et certains traits de la socialisation masculine (ex.: cacher sa vie privée, conserver le contrôle, être invincible, agir et faire plutôt que de privilégier l’introspection, de nier sa douleur et sa souffrance, etc.) » (Roy, Bouchard et Turcotte, 2012b, p. 9).

Parmi les divers comportements et caractéristiques empreints de stéréotypes sexuels, les plus répandus sont les suivants :

FillesGarçons
CoopérationCompétition
Plus sensibles et émotivesPlus rationnels et ne montrent pas leurs émotions
Meilleures en lecture, en langues et en artsMeilleurs en sports, en sciences et en mathématiques
Prennent davantage soin des autresSont plus autonomes

Or, ces stéréotypes ne sont ni fondés sur des caractéristiques biologiques ni prouvés scientifiquement. À la naissance, les cerveaux des garçons et des filles ne diffèrent qu’en ce qui a trait aux fonctions de reproduction. Les enfants de 0 à 3 ans ont donc les mêmes aptitudes cognitives (intelligence, capacités de raisonnement, de mémoire, d’attention, de repérage dans l’espace) et physiques (Vidal, citée dans Piraud-Rouet, 2017). Les différences qui se développent entre filles et garçons sont imputables à la plasticité du cerveau, c’est-à-dire à sa capacité à se transformer selon ses apprentissages et son environnement (Piraud-Rouet, 2017). En ce qui concerne les différences psychologiques ou comportementales entre les sexes, si elles ont tendance à s’accentuer de l’enfance à l’âge adulte, elles sont presque absentes chez les bébés et les jeunes enfants (Cossette, 2017).

Cela peut expliquer pourquoi, au niveau collégial, on observe tout de même des différences entre filles et garçons : ils et elles ont eu plus de 16 ans pour apprendre les normes sociales attendues des filles et des garçons par le biais de la socialisation différenciée !

Socialisation différenciée

La « socialisation différenciée » consiste à inculquer aux enfants les comportements attendus de leur sexe selon la société dans laquelle ils et elles grandissent. Une grande partie de cette socialisation différenciée se fait à notre insu, de façon totalement inconsciente. Elle se fait d’abord et avant tout par le biais de l’influence familiale, influence qui se poursuit également jusqu’à l’âge des jeunes fréquentant le cégep. Selon une étude sur la construction identitaire des garçons au cégep, ces derniers mentionnent que leurs « parents développeraient aussi davantage leur autonomie que celle des filles par la façon dont ils les éduquent en étant moins protecteurs et en insistant sur l’importance de leur “apprendre à se débrouiller”. Certains garçons ont mentionné avoir appris “à la dure”, davantage que leurs sœurs qui étaient plus souvent protégées » (Roy, Bouchard et Turcotte, 2012a, p. 63). Ainsi, interrogés sur le sujet, les jeunes perçoivent ces différences dans les comportements qu’ont leurs parents avec eux en fonction de leur sexe. Cette socialisation différenciée, aussi opérée par les médias, la société, l’école, et bien d’autres acteurs, traduit également un rapport à l’école et à l’apprentissage fort différent. Ces spécificités sont présentées ici.

Références

BAUDOUX, Claudine et NOIRCENT, Albert, (1993). « Rapports sociaux de sexe dans les classes du collégial québécois », Revue canadienne de l’éducation, 18 (2), pp. 150-167, accessible à : http://journals.sfu.ca/cje/index.php/cje-rce/article/view/2654/1962

BOYD, Denise et BEE, Helen (2015). L’enfance: Les âges de la vie, édition abrégée, 584 pages.

COALITION DES FAMILLES LGBT (2018). Définitions sur la diversité sexuelle et de genre, accessible à l’adresse suivante : https://www.familleslgbt.org/documents/pdf/Definitions.pdf

COSSETTE, Louise (2017). Cerveau, hormones et sexe. Des différences en question. Les éditions du remue-ménage, 112 pages.

MIEEYA, Yoan et ROUYER, Véronique (2013). « Genre et socialisation de l’enfant: Pour une approche plurifactorielle de la construction de l’identité sexuée », Laboratoire de psychologie du développement et processus de socialisation, Université Toulouse II, accessible à l’adresse : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01080693/file/2013%20-%20YM%20-%20Psycho%20Fran%C3%A7aise.pdf

PIRAUD-ROUET, Catherine (2017). « Stéréotypes de genre: bien les comprendre pour mieux les combattre », Les pros de la petite enfance, article publié le 18 janvier 2017, https://lesprosdelapetiteenfance.fr/bebes-enfants/psycho-pedagogie/lutter-contre-les-stereotypes-de-genre-des-la-petite-enfance/stereotypes-de-genre-bien-les-comprendre-pour-mieux-les-combattre, consulté le 8 novembre 2018.

ROY, Jacques, BOUCHARD, Josée et TURCOTTE, Marie-Anne (2012a). « La construction identitaire des garçons et la réussite au cégep », L’identité et la construction de soi chez les garçons et les hommes, 58 (1), pp. 55-67, accessible à : https://www.erudit.org/fr/revues/ss/2012-v58-n1-ss0144/1010439ar.pdf

ROY, Jacques, BOUCHARD, Josée et TURCOTTE, Marie-Anne (2012b). « La réussite scolaire selon le genre en milieu collégial – Une enquête par questionnaire », juin 2012, accessible à : https://www.researchgate.net/profile/Gilles_Tremblay/publication/52000371_La_reussite_scolaire_selon_le_genre_en_milieu_collegial_-_Une_enquete_par_questionnaire/links/0deec52015d6ce7b6e000000/La-reussite-scolaire-selon-le-genre-en-milieu-collegial-Une-enquete-par-questionnaire.pdf

SECRÉTARIAT À LA CONDITION FÉMININE (2018). « Identité de fille? Identité de garçon? », Portail SansStéréotypes, article consulté le 30 décembre 2018 et accessible à l’adresse : http://www.scf.gouv.qc.ca/sansstereotypes/personnel-scolaire/identite/

VIDAL, Catherine (2017). « Cerveau, sexe et préjugés », In. Cossette, Louise, Cerveau, hormones et sexe. Des différences en question, les éditions du remue-ménage, pp. 9-28.